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Technique

Prise de notes et dessins 1 Prise de notes et dessins 2

 

Le but que je poursuis est de dessiner, ou tout au moins d’essayer de dessiner tout ce que j’ai vu, mais rien que ce que j’ai vu. Je ne cherche en aucune manière à interpréter, à modifier, à rajouter, à améliorer. Un dessin qui me donne le sentiment de revoir exactement ce que j’ai vu est pour moi une réussite. Dans le cas contraire, c’est un échec ; il ne me reste plus qu’à recommencer l’observation !

La technique que j’emploie pour réaliser mes observations s’est, bien entendu, affinée au cours des années. Elle a principalement pour but de palier mon incapacité à dessiner en direct et en définitif à l’oculaire.

A mes débuts, au siècle dernier (!), j’ai commencé par réaliser mes dessins suivant une méthode que j’appellerai « traditionnelle », c’est à dire avec papier, crayon, et gomme. Je l’ai utilisée jusqu’au début des années 2010, puis, mes progrès en informatique aidant, je me suis mis au « DAAO », c’est à dire au Dessin Astronomique Assisté par Ordinateur.

A. La méthode traditionnelle

1. L’étude préalable

Je commence ma journée par étudier précisément les cibles que je me suis fixées d’observer au cours de la nuit qui va venir. Je n’hésite pas à lire toute la documentation et à détailler toutes les images que je peux trouver, et en fonction de celles ci, à affiner le programme correspondant : par exemple, je note que je devrai chercher à voir, observer, et dessiner telle région HII, telle étoile centrale, telle étoile faible en bordure du halo, etc. J’essaie de connaître le mieux possible ce que je vais devoir observer.

Je classe mes cibles par ordre d’observation, en fonction de leur passage au transit pour bénéficier d’une hauteur maximale, mais aussi de leur hauteur sur l’horizon au cours de la nuit pour éviter les zones zénithales difficilement accessibles à un dobson.

2. Le croquis

L’expérience m’a montré que je passe entre une et deux heures par cible au T635, pour l’observer, la dessiner, et rédiger mes notes ; je suis très « bavard », car je rédige deux ou trois pages de notes par objet, parfois plus.

Par contre, je ne fais pas de « dessins », mais des « croquis ». Je dessine sous forme de lignes les limites des isophotes, c’est à dire des zones de même luminosité, de même brillance, ou de même opacité, exactement comme une carte d’état major détaille les courbes de niveau pour matérialiser le relief. Je rajoute sur le papier toutes sortes de précisions, conformément aux échelles mises au point par la revue Ciel Extrême (voir au chapitre Publications), et avec quantité d’abréviations (voir chapitre correspondant, Abréviations). Bien sûr, le nombre de précisions et d’abréviations augmente avec le diamètre de l’instrument que j’utilise, comme le montre les exemples de M 17 à la lunette de 80, et M 77 au dobson de 635.

M 17 LC80x40OIII et 57UHC 1 M 17 LC80x40OIII et 57UHC 2 M 17 LC80x40OIII et 57UHC 3

Par conséquent, cinq croquis dans une nuit représentent pour moi une bonne moisson.

Tous mes dessins et notes sont consignés, non sur des feuilles volantes, mais sur un cahier à spirales de 200 pages. A mon point de vue, cela évite les pertes, ou les feuilles égarées. Ne riez pas : au jour où j’écris ce papier, février 2009, j’en suis à mon cahier n° 18 !

3. Le dessin

Avec ces notes et ces croquis, j’ai toutes les données pour passer à l’étape suivante, le dessin. J’ai tout le temps nécessaire, puisque rien n’est resté dans mon esprit, et tout à été couché sur le papier (enfin, c’est ce que j’ai essayé de faire…) ; je peux donc dessiner plusieurs jours, plusieurs semaines après mon observation, ce qui est parfois bien utile. Par exemple, lorsque je reviens de quinze jours de Namibie, et un cahier entier plein de notes, c’est un mois qu’il me faut pour en arriver au bout !

Je dessine sur papier dessin technique, blanc, à grain fin, 200 gr/m2, format 21 x 29.7 cm. Le matériel que j’utilise est le suivant :

  • mine de fusain 2H, 6H, et 9H,Matériel de dessin
  • crayon HB, 2H, et 4H,
  • crayon estompe en papier buvard,
  • gomme et crayon gomme,
  • stylos liner à encre de chine, 0.4, 0.7, et 0.8 mm,
  • taille crayon, lame de rasoir, ciseaux, règle graduée,
  • enfin, normographe à cercles gradués.

Matériel pour prises de notes et dessins Les nébulosités sont foncées avec l’estompe.

Je commence par dessiner sur un papier brouillon une tache la plus noire possible, avec la mine de fusain 9H ; puis je frotte la pointe de l’estompe sur cette tache, et c’est avec cette estompe noircie que je dessine sur la feuille de dessin.

Cela permet de ne pas avoir de trait, de raie, de tache noire trop contrastés : j’essaie de rester dans le dégradé de l’observation à l’œil.

Pour les plages de nébulosités faibles et étendues, je remplace l’estompe par mon doigt, par exemple les spires extérieures dans l’exemple de M 77.

M 77 T635 1 M 77 T635 2 M 77 T635 3

Pour les nébulosités très petites et très contrastées, j’utilise directement les mines de fusains 2H et 6H, voire 9H par exemple pour un noyau stellaire de galaxie brillante vue de face, ou pour des détails très très petits, les crayons 2H et 4H.

Les étoiles sont dessinées à l’encre de chine avec les stylos liners, et en utilisant le normographe à cercle ; cela permet de dessiner des étoiles biens rondes, et de diamètre proportionnel à leur magnitude. Le meilleur rendu correspond, selon moi, à des étoiles dont le diamètre augme de 0.5 mm environ pour chaque magnitude. Pour les étoiles brillantes, soit m < 5 pour la L80, ou m < 11 pour le T635, je souligne cette brillance par deux rayons en forme de croix qui reproduisent les aigrettes de l’araignée du secondaire, et dont la longueur est proportionnelle à la brillance de l’étoile.

Tous mes dessins sont orientés, sauf cas très particulier, Nord en haut, Est à gauche. Je précise en outre l’échelle et la constellation. Le titre du dessin détaille le nom de l’objet, y compris dans plusieurs catalogues si nécessaire, l’instrument, le grossissement, les filtres éventuels, ainsi que la date et l’heure en temps universel. Enfin, le lieu de l’observation.

4. Le traitement de l’image

Il reste maintenant à scanner l’image, et à la passer en négatif, nébulosités claires et étoiles blanches sur fond noir. Je ne travaille que très peu l’image à l’informatique, en utilisant Paint Shop Pro. Je me limite à diminuer ou rehausser le niveau de luminosité général ou de certaines zones à l’aide de la fonction | couleurfonctions relatives à l’histogrammeréglages |, et à rajouter le flou nécessaire avec la fonction | effetsfloumoyenne | pour monter l’influence du grossissement. Je dois aussi ajouter que je tente de rendre l’effet d’éblouissement des étoiles très brillantes avec la fonction | effetseffets de lumièrehalo |.

B. La méthode informatisée

Beaucoup de points de la méthode traditionnelle demeurent inchangés.

1. L’étude préalable

C’est exactement la même que dans la méthode traditionnelle

2. Le croquis

J’utilise toujours la méthode des isophotes, mais ce qui change de la méthode traditionnelle, c’est que je ne dessine pas ces isophotes sur du papier mais sur mon écran d’ordinateur.

Voilà comment je procède.

Je recherche dans toute ma documentation, y compris sur internet, une image de l’objet que je me propose de dessiner, qui soit la plus détaillée possible, Je « butine » dans les sites personnels des imageurs qui m’ont autorisé à utiliser leurs images (ils sont listés au paragraphe abréviations) ; j’utilise aussi le DSS, le SDSS, ainsi que Skymap.org.

Une fois cette image trouvée, je l’affiche en grand format sur l’écran de mon ordinateur. Oui, j’ai oublié de vous dire que pour faire un dessin informatisé il faut un ordinateur ! Ceci n’est pas une galéjade, car utiliser un ordinateur dans ce but pour plusieurs heures voire toute la nuit, nécessite de disposer d’une alimentation électrique ; ce que j’ai la chance d’avoir dans mon lieu habituel d’observation, l’Observatoire des Baronnies Provençales, ainsi que lors de mes séjours à Tivoli, en Namibie.

Je commence par étudier cette image, longuement, précisément, de façon à bien la mémoriser. D’abord dans son ensemble, puis en me limitant au détail de l’image que je me propose d’observer.

Ensuite commence l’observation proprement dite, au sommet de l’échelle et l’œil à l’oculaire, du détail que j’ai précédemment mémorisé. Lorsque j’estime avoir perçu tout ce qu’il m’était possible, souvent après de longues minutes d’observation, je redescend de l’échelle, je m’assoie en face de l’écran, et je tente de dessiner sur l’image de l’objet tout ce que j’ai gravé dans ma mémoire.

A ce stade de mes explications, j’ai plusieurs choses à vous dire.

– Puisque je dessine en surimpression sur une image photographique, je n’ai pas à me soucier des proportions : je trace mes isophotes où il faut et à la bonne échelle. Et comme je me limite au détail que je viens d’observer, je ne me soucie pas non plus de faire un dessin d’ensemble de l’objet, avec toutes les erreurs de taille, de forme, d’oublis qu’il comporterait obligatoirement. Mon croquis d’ensemble apparaîtra sur mon écran, petit à petit, détail après détail, au fur et à mesure des mes observations.

Cela a un corollaire : je monte et je descend de l’échelle en moyenne cinquante fois par nuit, et comme celle du T635 a huit marches et trois mètres de hauteur, mes nuits d’observation s’interrompent autant par le besoin de sommeil que par fatigue musculaire de mes vieilles jambes..,

– Avec quoi je dessine sur l’écran ? Avec l’outil pinceau d’un logiciel de dessin, en l’occurrence Paintshop Pro, mais qui pourrait être Phototoshop, Gimp, etc. Ceci a un avantage que le dessin ne permet pas : l’emploi de la couleur. En modifiant celle-ci pour chaque grossissement, chaque filtre, j’individualise chaque étape de mon observation. Ainsi, je peux revenir sur telle ou telle partie de mon dessin, et non sur une autre, qui ne m’aurait pas donné satisfaction.

– La lumière de l’ordinateur ne perturbe-t-elle pas ma vision nocturne ? Franchement non, à condition bien sûr de régler sa luminosité au minimum, et d’attendre quelques minutes lorsque je remonte à l’échelle avant de tenter de percevoir tel ou tel détail.

3. Le dessin

Il est « fabriqué » par une série de calques : l’image photographique en fond, puis un calque par isophote, par détail, par filtre, etc. Pour chaque isophote, je rempli la zone concernée avec l’outil pot de peinture, en choisissant la netteté, la couleur, et son intensité.

Le dessin peut ainsi être la superposition d’une douzaine de calques, parfois plus.

4. Le traitement de l’image

Chaque calque est empilé en mode transparent ; je peux ainsi modifier chacun des calques individuellement sans affecter les autres. Par exemple, je peux augmenter la luminosité des régions périphériques d’une galaxie, ou celle de la région centrale, faire mieux apparaître les régions HII, ou les étoiles surimposées, ou une bande sombre avec le pot de peinture noire, etc, etc, toutes subtilités quasiment impossibles avec une image au crayon sur un support papier.

Ce n’est qu’une fois l’image résultant de la superposition de tous les calques, plus ou moins modifiés ou amendés, que je fusionne ceux-ci.

5. Le post traitement

Le dessin qui résulte du traitement que je viens de décrire n’est que le résultat d’un certain nombre d’actions, à un certain moment. Or, les capacités, les fonctionnalités des logiciels de traitement d’image évoluent avec le temps; elles s’améliorent, se perfectionnent sans cesse. Entre les années 2010 et 2020, j’ai utilisé le logiciel Paintshop Pro dans sa version 7; depuis, je l’utilise dans sa version 20. Pour une même image, le nombre de pixels a pratiquement doublé, et les différentes fonctions sont toutes plus performantes. Parallèlement, ma dextérité dans l’utilisation de ces fonctions s’est aussi améliorée.

Je n’hésite donc pas, année après année, à reprendre tel ou tel dessin qui me semble améliorable. Entendons nous bien, je ne modifie en rien le croquis originel, je n’ajoute évidemment aucun détail, aucun trait, etc.; simplement, je reprends le traitement de l’image avec les capacités techniques et personnelles dont je dispose à ce moment.

Les deux images de la nébuleuse NGC 2261 ci contre en sont un bon exemple. L’image de gauche a été dessinée et traitée en 2011; celles de droite est la même image, traitée en 2020. On voit immédiatement que l’étoile sommitale est plus ponctuelle, que les nervures sont plus nettes, et surtout que les extensions nord sont présentes alors qu’elles n’apparaissaient pas, bien que réelles, sur l’image de 2011.